
ls sont des milliers, chaque année, à quitter la
France pour quelques semaines, voire quelques mois, parce qu'ils
souhaitent adopter un enfant. Certains sont aidés par des
associations, mais beaucoup partent seuls, car les listes d'attente
sont si longues qu'ils préfèrent se débrouiller sur place plutôt que
de patienter des années. Depuis vingt ans, en France, les chiffres
de l'adoption internationale ont explosé : en 2004, sur les 5 000
enfants accueillis dans des familles d'adoption, 80 % venaient de
l'étranger. En 1980, ils étaient moins de 1 000.
Qui l'eut dit il y a un siècle, alors que l'adoption telle que
nous la concevons - donner une famille à un enfant - était encore
inconnue ? En 1804, le code Napoléon l'avait réservée aux couples
sans enfants et aux enfants majeurs : l'adoption ne servait pas à
accueillir des orphelins mais à transmettre le patrimoine des
couples privés d'héritiers. « Ce n'est qu'après la première guerre
mondiale, en 1923, que, prenant en compte le nombre important
d'enfants rendus orphelins par le conflit, le code civil a autorisé
l'adoption d'enfants mineurs », remarquait, en 2004, le rapport
annuel de la défenseure des enfants, Claire Brisset.
Si l'adoption internationale a aujourd'hui pris une telle place,
c'est parce que les enfants français adoptables sont devenus rares.
Les pupilles de l'Etat, qui étaient près de 25 000 il y a encore
trente ans, sont moins de 3 000 aujourd'hui : il s'agit de bébés nés
sous X - leur mère a accouché anonymement - ou d'enfants plus âgés
dont les parents, sauf cas de « grande détresse », se sont «
manifestement désintéressés » d'eux, selon l'expression du code
civil. « Sur ces 3 000 enfants, 1 000 sont adoptés chaque année,
précise Michèle Tabarot, députée (UMP) des Alpes-Maritimes. Les
autres sont souvent des enfants qui sont âgés ou qui présentent des
handicaps. »
Aujourd'hui, les enfants viennent de tous les continents : en
2004, plus de 70 pays étaient ouverts à l'adoption contre une
vingtaine dans les années 1980. Haïti, la Chine et la Russie
représentent près de 40 % des procédures, mais les enfants viennent
aussi du Vietnam, de la Colombie, du Cameroun, du Brésil ou de Corée
du Sud.
Seuls les pays dont la législation est inspirée par le droit
islamique restent à l'écart : en Algérie ou au Maroc, par exemple,
l'adoption n'est pas reconnue comme un mode de filiation et seule la
« kafala » permet de recueillir des enfants abandonnés, sans qu'ils
acquièrent pour autant le statut de fils ou de fille dans leurs
nouvelles familles.
LASSÉS PAR L'ATTENTE
En France, beaucoup de parents passent par un organisme autorisé
pour l'adoption (OAA), qui les aide à constituer leurs dossiers et
leur fournit, une fois sur place, guides et interprètes. « Nous
organisons également des réunions qui permettent de faire mûrir le
projet, explique Geneviève André, qui dirige l'unité adoption de
Médecins du monde. Nous avons réalisé 2 400 adoptions depuis 1992 et
nous savons que les parents se posent des tas de questions : faut-il
le mettre à l'école dès son arrivée, changer son prénom, continuer à
lui faire pratiquer sa langue maternelle ? Pendant l'année voire les
deux années qui précèdent l'arrivée de l'enfant, nous avons le temps
d'évoquer ces problèmes. »
Lassés par l'attente ou désireux de se débrouiller seuls, près de
60 % des parents préfèrent cependant partir seuls, même s'il faut
pour cela affronter un pays lointain, une langue inconnue et une
administration étrangère. « C'est ce que nous avons fait, raconte
Yves Nicolin, député (UMP) de la Loire. De Paris, nous avons demandé
à une Russe de nous aider, deux fois par semaine, à appeler des
mairies, en Russie, pour leur demander si elles connaissaient des
orphelinats. Jusqu'au jour où notre interprète a parlé à sa mère,
infirmière en Sibérie : elle lui a dit qu'il y avait, dans son
hôpital, une petite fille d'un an, abandonnée. Nous sommes partis
là-bas en 1999 et nous avons ramené Margot. Nous avons ensuite
adopté là-bas Mathilde, puis Victor. »
S'il y a de belles aventures, le monde de l'adoption compte aussi
nombre de parents découragés par la complexité, la longueur et le
coût des procédures. Pour les simplifier, les députés Yves Nicolin
et Michèle Tabarot, soutenus par le ministre de la santé, des
solidarités et de la famille, Philippe Douste-Blazy, ont déposé une
proposition de loi qui sera débattue, mardi 12 avril, à l'Assemblée
nationale.
« Nous voulons harmoniser les procédures et mieux accompagner les
candidats à l'adoption, souligne M. Nicolin. Aujourd'hui, 25 000
foyers sont en attente d'un enfant alors que des dizaines de
milliers d'enfants attendent de l'être à travers le monde. » Le
premier volet de ce texte concerne les 8 000 agréments, délivrés
tous les ans par les présidents de conseils généraux, qui ne
constituent que la première étape vers l'adoption.
« AIDE ADMINISTRATIVE »
Aujourd'hui, les critères sont souvent mystérieux. « Chaque
département fait ce que bon lui semble », résumait en 2004 la
défenseure des enfants, Claire Brisset, en remarquant que le taux
d'agrément variait de 66 % à 98 % selon les conseils généraux.
Les deux députés proposent également la création d'une agence de
l'adoption. Les parents pourront continuer à emprunter les voies qui
existent déjà, mais ceux qui le souhaitent pourront s'adresser à
cette agence. « Elle informera les parents, leur apportera une aide
administrative mais elle sera surtout à leur écoute, explique Mme
Tabarot. Il faut les aider à constituer un dossier, leur fournir un
guide et un interprète sur place et les accompagner tout au long de
ce long parcours. »
Anne Chemin